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En marge de la commémoration du 150e anniversaire de sa mort :
Pierre Toussaint : Un Saint pour Haïti
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Pierre Depestre, Mme Dominique F. Thébaud, Jacques Thébaud
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En l?année 1970, le Cardinal Cooke, Archevêque de New York, introduisait à la Cour de Rome la cause de Pierre Toussaint en vue de sa canonisation. Plus tard, en 1992, cette cause fut reprise avec plus de vigueur par le Cardinal O?Connor, lui-même qui devait plus tard souhaiter être enterré à côté de Pierre Toussaint et l?avoir pour compagnon d?éternité. Qu?est-ce donc qu?un saint ? Et qui était Pierre Toussaint ? Un saint, c?est une personne comme vous et moi, mais qui, par sa vie faite de piété et de vertus chrétiennes, est reconnue par l?Eglise comme digne d?un culte. Durant sa vie sur terre, il a cherché à atteindre la perfection, tel que suggéré dans Matthieu 5:48 : ?? Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait??. Il est une inspiration pour tous, et contribue à l?édification de la foi. Il y en a à avoir fait le sacrifice de leur vie, soit pour la cause de la foi, soit par amour pour les enfants de Dieu, sachant qu?ils auraient ??part à Sa sainteté?? (ref. Hébreux 12 :10).
Certains saints, par les circonstances entourant leur vie, le chemin qu?ils ont parcouru, sont considérés patrons de certains lieux, de certaines personnes, de certains corps de métiers, de certaines démarches et entreprises de l?homme. La ville de Paris a sa patronne, Sainte Geneviève. Elle promit aux habitants de Lutèce, devenue Paris, qu?Attila ne pénétrerait pas dans leur ville ; et sa promesse se révéla vraie. Les pays formant le Royaume-Uni ont chacun leur patron : D?abord la Grande-Bretagne, avec Saint-George ; puis l?Ecosse, avec Saint-André ; et l?Irlande, avec Saint-Patrick. Lors de la formation de cette entité politique, on superposa les croix de ces trois Saints pour créer un nouveau drapeau, le Union Jack. Le cas de Saint Patrick Une fois qu?un homme ou un peuple adopte un Saint pour patron, ce dernier l?accompagne où qu?il aille, l?homme et le peuple lui rendant le culte qui lui est dû. Un bon exemple est le cas de Saint-Patrick, fêté le 17 mars non seulement en Irlande et dans d?autres pays, mais surtout aux Etats-Unis, où une grande partie de la population est d?origine irlandaise
Saint-Patrick revêt pour nous un grand intérêt. Il naît en Angleterre dans une famille chrétienne aisée vers l?année 390. Seize ans plus tard, il est capturé par des païens et emmené en esclavage en Irlande, où il est assigné au gardiennage des moutons dans des zones reculées, loin de tout être humain. Dans la crainte et la solitude, il se tourne vers la religion pour trouver force et consolation. Six ans plus tard il parvient à s?échapper, et retourne dans son pays où il entreprend des études théologiques qui vont durer quinze ans. Après son ordination, il est envoyé en Irlande avec une double mission : pourvoir aux besoins spirituels du petit nombre de chrétiens qui s?y trouvent déjà, et amener les Irlandais à la conversion. Il retourne dans ce pays sans amertume évangéliser les druides qui l?avaient asservi. Aujourd?hui, Saint-Patrick est l?une des figures les mieux connues de la chrétienté, et la cathédrale de New York qui lui est consacrée est celle des primats de cette ville.
Ceci rappelle quelque peu Pierre Toussaint. Mais lui, il naît esclave, non loin de St. Marc, sur la plantation L?Artibonite, propriété de la famille Bérard. On situe sa naissance entre 1766 et 1780, mais on semble admettre qu?il serait né vers le 27 Juin 1774 / 1776. Sa mère, une esclave domestique dénommée Ursule, est femme de chambre des Bérard. Son père, Toussaint l?aîné, est esclave sur la plantation. Zénobie Julien, sa grand-mère maternelle, une esclave sachant lire et écrire, est la nourrice des enfants Bérard et également la femme de confiance de la famille. La famille Bérard est d?une grande piété, et les esclaves de la maison adoptent également la foi chrétienne. Pierre, l'enfant gâté de la plantation Ainsi, Pierre, né chrétien, devient l?enfant gâté de la plantation, ?? gagnant les c?urs par son enjouement et sa gentillesse.?? Il apprend à lire et peut consulter la bibliothèque des Bérard. Lisant souvent la Bible, il connaît par c?ur bon nombre de versets, parmi lesquels ceux des béatitudes. Il est néanmoins esclave, déchiré entre sa fidélité envers ses maîtres qui lui font confiance, et la solidarité envers ses frères de race. Souffrant dans son âme d?entendre les nouvelles d?autres plantations où des maîtres cruels font subir de terribles sévices à des noirs comme lui, il se réfugie dans la prière pour trouver la sérénité. Nous pouvons l?entendre répéter en pareilles circonstances la prière que de la croix le Christ a dite pour ses bourreaux : ??Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu?ils font?? (Luc 23 :34). Quand éclate la révolution à Saint-Domingue, et que les Bérard devront s?enfuir en 1797 de cette terre où les hommes semblent avoir perdu la raison, et la souffrance et la désolation se voient partout, nous pouvons entendre Pierre citant ces versets tirés des béatitudes qui ont été la charte de sa vie: ??Heureux les affligés, car ils seront consolés ! . . . Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ! ?? (Matthieu 5 :4, 7). Départ pour New York Pierre est du groupe de cinq serviteurs à accompagner les Bérard à New York. L?esclavage n?a pas encore été aboli aux Etats-Unis, mais les travaux domestiques de Pierre lui laissent beaucoup de temps libre, et il manifeste des aptitudes pour la coiffure, aussi Monsieur Bérard décide de le mettre en stage auprès d?un coiffeur pour dames très connu, Monsieur Merchant. Pierre va développer ses dons et se faire apprécier. Monsieur Bérard retournera à Saint-Domingue s?occuper de son habitation, mais y laissera la vie en 1801, et sa veuve restée à New York sans ressources sera soutenue par l?esclave Pierre Toussaint, qui maintenant jouit d?une certaine réputation dans la profession.
Bien qu?il comptât parmi ses clientes des femmes de la haute société new-yorkaise, et qu?il pût disposer de revenus assez importants, Pierre ne pensait jamais à lui-même mais plutôt à l?Eglise et aux autres. Il aidera à la reconstruction de l?église St.-Pierre quand celle-ci aura été détruite, et à la construction de la première cathédrale St.-Patrick ; ouvrira des ?uvres caritatives, des orphelinats, des écoles ; accordera son support moral et financier à la S?ur Elizabeth Lange, native de Saint-Domingue comme lui, dans la fondation de la communauté des S?urs Oblates de la Providence.
Il aura consolé, réconforté ceux frappés par le deuil, par le sort, les revirements de fortune ; les aidant à reprendre courage, à se refaire une place dans la société.
Il aura acheté la liberté de gens en servitude, sans même songer à la sienne, car pour lui, la vraie liberté était en Christ.
Il aura, au péril de sa vie, pris soin de personnes atteintes de fièvre jaune, et abandonnées à leur sort, et les aura ramenées au monde des vivants.
Comment expliquer que Pierre pût franchir les barrières de couleur et de condition sociale en vigueur à l?époque, et se faire accepter, apprécier, adopter, désirer, par tant de personnes, de toutes races et de toutes les religions? Accepter l?affront sans broncher? De son vivant, on parlait de lui comme ??un saint??, et une telle appellation lui avait été donnée en premier par la communauté protestante de l?Amérique puritaine. On a parlé de sa simplicité, sa modestie, sa franchise, son esprit d?abnégation et d?humilité, de ses conseils judicieux ; des sentiments de paix, de bonheur même, qu?éprouvaient les clientes au cours des séances de coiffure. Quel était le secret de sa vie? L'imitation du Christ Pierre avait appris à prier. A travers les épreuves et vicissitudes de la vie, il trouvait refuge dans la prière. Sa piété était connue de tous, et on lui offrait des livres de prière, on sollicitait ses prières, sachant que ??la prière du juste a une grande efficace?? (Jacques 5 :16). Parmi les livres dont il citait souvent des passages, il faut noter L?Imitation de Christ, de Thomas a Kempis. En effet, à l?image de Christ, Pierre priait sans cesse, s?identifiant même avec le Christ, qui citant le prophète Esaïe, dit dans la synagogue:
??L?Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu?il m?a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ;
Il m?a envoyé pour guérir ceux qui ont le c?ur brisé ;
Pour proclamer aux captifs la délivrance,
Et aux aveugles le recouvrement de la vue,
Pour renvoyer libres les opprimés,
Pour publier une année de grâce du Seigneur??.
A tous, dans ce monde d?alors en proie au racisme et à la discrimination, il a témoigné de sa foi en Dieu. Et, selon Mme Philip J. Schuyler, l?une des amies préférées et sincères de Pierre, il était ??un catholique, totalement intégré à la foi de son Eglise, éclairé et agissant toujours selon le principe que Dieu est notre Père à tous et que tous les hommes sont frères?? Affranchissement en 1807 et marriage en 1811 Pierre demeura au service de sa maîtresse, Mme Bérard-Nicolas, et n?accepta son affranchissement que lorsque cette dernière fût sur son lit de mort, en 1807. Il paya le rachat de sa s?ur Rosalie, qui se maria en 1811, et trois mois plus tard il épousait Juliette Noël, native comme lui de cette terre qui avait repris son nom d?origine, Haïti. Le couple n?eût pas d?enfant, mais ensemble ils continuèrent l??uvre de Pierre. A la mort de Rosalie, ils adoptèrent la petite Euphémie, sa fille, l?entourant de tendresse et d?amour. Tel un rayon de lumière, elle illumina leur vie, leur apportant une joie nouvelle. Pierre éprouva un immense chagrin quand elle mourut de tuberculose à l?âge de 14 ans, mais il fut terrassé quand ce fut le tour de Juliette de quitter ce bas monde en 1851. Elle avait été sa joie, son bonheur, sa compagne de 40 ans. Malgré sa douleur, Pierre ne se retira pas du monde, mais ses forces commencèrent à l?abandonner.
Le Dieu d?éternité, qui donne la vie, après avoir compté les jours de Pierre Toussaint sur cette terre, l?a appelé auprès de Lui, il y a 150 ans, le 30 Juin 1853. ? Né sur cette terre d?Haïti, il a connu la plus abjecte des conditions, l?esclavage, mais se savait libre, ayant été affranchi par Christ. Il a connu l?humiliation, mais accordé le pardon. Il a connu la douleur, mais reçu la consolation. Il a connu la gêne, mais sans proférer de complainte. Il a connu l?abondance, mais s?en est servi uniquement pour les autres. Il a connu la mort, pour recevoir l?immortalité. Il est désormais parmi ??les justes parvenus à la perfection?? (Héb 12 :23).
Est-ce par pure coïncidence, ou suivant le dessein de Dieu, que Pierre aura aidé à construire la première cathédrale consacrée à Saint-Patrick qui, comme lui, avait connu l?esclavage ? Le 4 Décembre 1990, ses restes mortels furent transférés dans la crypte sous le maître autel de la nouvelle cathédrale du même nom ; et le 17 Décembre 1996, le Pape Jean Paul II signait le décret décernant à Pierre le titre de Vénérable, l?offrant ainsi à notre vénération
Quelque chose de bon ne peut-il sortir d?Haïti? Cette terre tellement décriée, ne pourra-t-elle offrir un Saint à la chrétienté ? Quand se produira le miracle qui aboutira à la canonisation de Pierre? Combien faudra-t-il de temps ? ? Aux chrétiens des Etats-Unis qui l?ont adopté et le réclament, aux chrétiens d?Haïti où il est né, de prier pour ce jour.
© Pierre Depestre
RÉFÉRENCES
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? Les versets bibliques sont tirés de la traduction de Louis Segond
? Pierre Toussaint, a slave, society hairdresser, philantropist, may become nation?s first black saint, par Arthur Jones, NCR Staff, NY
? Saint Businessman, par Robert A. Sirico, Forbes, Nov 15, 1999
? Bakita and Pierre : from slaves to saints, par Patricia Treece, The Tidings
? Pierre Toussaint, par Boniface Hanley, O.F.M., tiré de « Ten Christians »
? Mémoires de Pierre Toussaint, traduit de l?anglais par les Salésiens de Don Bosco, Haiti, 1997.
? Pierre Toussaint, Vénérable en voie de Canonisation, par Jacques Thébaud et Pierre Depestre, Genèse, 2000.
? Who was St. Patrick, notes tirées de l?Histoire de l?Irlande et la Fête St. Patrick
? Photographie de Pierre Toussaint : extrait de celle détenue par Columbia University
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