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Pascal Elie, colon de Saint-Domingue, vainqueur de la Bastille *
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Peter Frisch
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L?histoire de la Révolution Française est souvent
la relation des prouesses des personnages illustres de l?époque, avec
pour toile de fond les grandes épopées de 1789 à 1815.
C?est pourtant et surtout l?histoire de tous ces citoyens anonymes, issus de
tous les rangs de la société, qui ont également eu leur
rôle à jouer dans les événements de 1789. L?histoire
d?un bon nombre de ces protagonistes se trouve cachée au fond des vieilles
malles où les documents de famille attendent le chercheur avisé
qui les tirera de l?oubli.
Ces documents trop souvent ignorés sont pourtant très importants
dans les études historiques. Une exploitation plus systématique
de ces sources pourrait revitaliser cette science. La présente étude
a justement été possible grâce essentiellement à
des papiers de famille.
La Révolution Française et la proclamation des
Droits de l?Homme et du Citoyen ont eu des répercussions mondiales qui
se ressentent encore aujourd?hui. C?est bien dans cet esprit que le bicentenaire
de la Révolution se commémore également sous l?égide
de son internationalisme. Le récit de la participation de Pascal ELIE,
riche colon de Saint-Domingue, aux événements de 1789 en est un
bon exemple. La contribution de ce personnage ne le place peut-être pas
parmi les figures phares de la Révolution, mais la relation de sa vie
riche, pittoresque, même étonnante, demeure fort intéressante.
Pascal ELIE est né à Pau, ancienne capitale du
Royaume de Navarre, le 10 Janvier 1748, fils d?un marchand juif, originaire
de Ghazir, Liban et d?une paloise1
Il grandit dans le milieu de la petite bourgeoisie provinciale. Il reçoit
de son père une éducation solide et est également initié
aux rouages du commerce. C?est à cette époque que la France s?éveille
aux idées des grands philosophes du siècle des lumières
qui ont contribué à préparer la Révolution. Là
où Voltaire condamne l?arbitraire et combat le clergé, Rousseau
proclame la souveraineté du peuple et l?égalité des hommes
devant la loi. Ces principes feront leur chemin dans la tête de notre
personnage et ils y trouveront un terrain fertile.
En 1769, Pascal ELIE, alors âgé
de 21 ans décide de partir pour la riche colonie de Saint-Domingue afin
d?y faire fortune. Il débarque à Saint-Marc où vivait déjà
une assez importante communauté béarnaise et gasconne. Jacques
CAUNA dans son étude sur la présence gasconne à Saint-Domingue
a répertorié un bon nombre de Landais qui partirent de Bayonne
pour cette colonie2
. Une étude des registres paroissiaux
de Saint-Marc permet de relever des noms tels que SALNAVE, LACAZE, SAINT MARCARY,
FESCHENX et autres qui sont typiques du Sud-ouest de la France. Saint-Marc était
un port très actif de la colonie par lequel étaient expédiées
vers la Métropole des denrées cultivées dans la plaine
de l?Artibonite. La plus grande partie des nouveaux venus dans la colonie allait
grossir la classe des petits blancs composés essentiellement de petits
artisans. Pascal ELIEéchappe à cette destinée. Il est d?autant
plus favorisé qu?il a déjà des connaissances à Saint-Marc
qui lui facilite son intégration dans le milieu. Très rapidement,
Pascal ELIE monte un commerce fort prospère qui lui rapporte gros.
En effet, on le retrouve propriétaire
d?une indigoterie-cotonnerie à la Petite-Rivière de l?Artibonite,
d?une habitation caféière du nom de »Courrèges»
établie à la Bande, paroisse des Gonaïves et d?une propriété,
fonds et bâtisses, dans la ville de Saint-Marc où il réside3
.
En Juillet 1788, Pascal ELIE décide
de retourner en France. Il nomme des fondés de pouvoir pour gérer
ses biens dans la colonie et il afferme sa maison de Saint-Marc, pour la somme
de vingt trois mille livres par an. Notre homme, à l?âge de quarante
ans, sa fortune bien faite et ses intérêts à Saint-Domingue
en bonnes mains, se voit accéder à la classe de ces colons absentéistes
qui jouissent de leur revenu tropical en métropole. Dès son arrivée
en France, Pascal ELIE s?installe à Paris au No 16 de la rue St-Fiacre,
boulevard Poissonière4La
France qu?il retrouve est un royaume affaibli. Les guerres n?ont fait qu?endetter
l?État qui se trouve en faillite. Les diverses tentatives de réforme
économique restent sans succès réel. Une famine sévit
à travers le pays et le peuple gronde. Le manque de volonté politique
au niveau du pouvoir à vouloir valablement remédier à cette
situation force le peuple à enfin prendre sa destinée en mains
et il se révolte. Le 14 Juillet 1789, à la prise de la Bastille,
symbole de l?absolutisme, Pascal ELIE fait partie de la foule des insurgés
de Paris qui investissent cette prison qu?ils haïssent tant. Il fait partie
des premiers assaillants, en compagnie de Pierre HULIN et Louis François
RIBIE, le comédien bien connu de Saint-Domingue, à pénétrer
dans la forteresse. Durant les événements qui marquent cette journée
mémorable, il fait preuve d?un grand courage5
. Jules MICHELET, dans son «Histoire de la
Révolution Française» mentionne justement un ELIE, qui eut
à jouer un rôle principal durant la journée du 14 juillet
1789 et tout particulièrement à la prise de la Bastille. Malheureusement
l?historien ne précise pas le prénom de cet ELIE. En conséquence,
bien que nous puissions supposer que MICHELET, parle bien de notre Pascal ELIE,
nous ne pouvons pas avoir la certitude, car parmi les vainqueurs de la Bastille,
il y avait également un certain Jacques Job ELIE6
. Il n?en demeure pas moins que ce jour marque un tournant dans la vie de Pascal
ELIE qui, dès lors, épouse pleinement les causes de la Révolution.
Dès 1790, ce héros de la
Bastille décide de regagner sa province natale. Sans doute pense-t-il
mieux servir la Révolution dans le Béarn de son enfance où
il a encore des amis. Déjà les autres monarchies d?Europe réagissent
contre cette Révolution que le Roi de France ne peut contrôler
et leurs armées menacent les provinces frontalières de la Nation.
Le Béarn situé juste au nord de l?Espagne où règne
un BOURBON, cousin le plus direct du Roi de France, est tout particulièrement
en péril. Pascal ELIE a une autre raison de regagner le Béarn
: en homme d?affaires avisé, il espère profiter de la situation
pour effectuer quelques bonnes acquisitions. En effet le 12 Mai 1791, il achète
de la Nation, pour la somme de cent huit mille livres, un ancien monastère
des moines barnabites, bien séquestré sous le Révolution7.
Cette bâtisse que l?on appelle »Château de Lucq» consiste
en une tout en ruine remontant au IXe siècle, la partie habitable datant
du XVIIe siècle. De cette demeure se trouvant au village de Lucq de Béarn,
arrondissement d?Oloron, Pascal ELIE fait sa résidence. Après
cette acquisition, il achète également un bon nombre de fermes
dans la commune qu?il donne à bail à des fermiers de la région.
En 1792, on le retrouve commandant en second
du troisième bataillon de la première légion des gardes
nationaux du district d?Oloron. En 1793, il est membre du comité de surveillance
de la commune de Lucq de Béarn. Sa dernière »fonction révolutionnaire»
est celle de Commissaire du Directoire Exécutif près l?Administration
municipale du Canton de Morein de 1797 à 17998.
Enfin en Mars 1808, Pascal ELIE est nommé maire de Lucq, fonction qu?il
occupera jusqu?à sa mort le 13 juin 18379.
Alors qu?il est à ce poste, il lui est décerné la Légion
d?Honneur au grade de chevalier, le 14 février 181510
et le 3 mai de la même année, il est élu, pour l?arrondissement
d?Oloron, représentant à la Chambre des Cent jours11
. Jean TULARD nous dépeint de manière très négative
les maires sous Napoléon. Il indique que ces magistrats sont généralement
d?une médiocrité intellectuelle et morale unanimement reconnue.
Ils sont inefficaces et c?est la pagaille dans les municipalités11a.
Pourtant Pascal ELIE ne répond pas à
cette description. Il gère les intérêts de la commune en
administrateur conscient. S?il a fort bien réussi sa vie dans le commerce,
c?est bien parce qu?il a une discipline et de la méthode de travail.
Preuve nous est donnée par des états de compte de son Entreprise
ainsi que la tenue d?un registre dans lequel Pascal ELIE recopie toutes les
lettres qu?il expédie et qu?il reçoit. Les multiples activités
qu?il mène à la mairie montrent qu?il est dévoué
à sa tâche. Le fait qu?il garde sa fonction de maire après
la chute de l?empire et même jusqu?à sa mort indique que sa gestion
des affaires communales était appréciée. Voilà donc
campé un homme dont la vie est partagée entre deux continents
et qui s?est pleinement donné à la Révolution.
A la lueur des différentes étapes
de la vie de Pascal ELIE, on peut bien se demander pourquoi un homme qui avait
bien réussi sa vie sous l?ancien régime a pu ainsi se lancer dans
l?aventure révolutionnaire. Il faut bien reconnaître qu?il avait
fait fortune sous la monarchie. En analysant le dossier des réclamations
des anciens colons de St-Domingue, l?on constate que le montant de l?indemnité
accordée à Pascal ELIE en dédommagement de ses propriétés
après l?Indépendance d?Haïti, s?élevait à 59.706.66
francs12
. Quand on sait qu?à l?époque les anciens colons avaient été
dédommagés d?un montant correspondant à 1/10 de la valeur
réelle de leurs biens, nous pouvons estimer que la fortune physique de
Pascal ELIE à Saint-Domingue à 600.000 francs; un chiffre fort
appréciable pour l?époque.
Pour en revenir aux raisons qui auraient
poussé Pascal ELIE à l?engagement révolutionnaire, on aurait
tendance à affirmer de manière trop hâtive que la Révolution
Française était le produit de la bourgeoisie. Qu?après
avoir acquis le pouvoir économique, elle voulait conquérir le
pouvoir politique et que Pascal ELIE était le pur produit de cette classe.
Il faudra toutefois s?arrêter sur des raisons personnelles et même
intimes qui auront poussé cet homme à l?engagement révolutionnaire.
Sa prise de position n?était point un acte spontané émanant
de son appartenance à la classe bourgeoise, mais trouve son origine dans
l?héritage familial et les expériences de sa vie antérieure
à 1789.
Peu de temps après son arrivée
à Saint-Domingue, Pascal ELIE s?était lié à une
mulâtresse du nom de Marie-Louise ALOUBA dite LEFEVRE. De cette femme,
il eut six enfants dont cinq atteindront l?âge adulte13.Pourtant
il était impossible pour lui d?épouser sa compagne et de reconnaître
officiellement ses enfants. Le Code Noir promulgué par Louis XIV n?encourageait
pas les mariages entre les blancs et les noirs ou sang-mélés.
L?une des idées de base de ce Code était d?entraver la classe
des affranchis aux droits à la succession des biens appartenant aux blancs,
ce, afin d?éviter que les gens de couleur acquièrent à
la longue un pouvoir économique qui les rendrait trop puissants et donc
apte à mieux faire valoir leurs droits. Divers arrêtés du
Roi, en date du 5 avril 1778 interdisait catégoriquement »aux blancs
tous mariages avec les noirs, mulâtres ou autres gens de couleur»
en métropole14.
Ce genre de décrets fixait nettement la position du pouvoir sur le sujet.
De plus dans le milieu raciste de la société coloniale de Saint-Domingue,
tout blanc qui contractait une mésalliance était systématiquement
déclassé. Comme le dit J. HOUDAILLE, tous les blancs qui contractent
ce genre d?alliance »sont bien punis, car on les accable d?humiliations
; ils perdent toutes leurs prérogatives, et tous blancs qu?ils sont,
ils se trouvent à jamais ravalés dans la classe des gens de couleur» 15.
Les liens entre blancs et femmes de couleur étaient tolérés
tant qu?il s?agissait de rapports licencieux. Les blancs s?en honoraient même.
Par contre il était hors de question d?en arriver au mariage16.
Les femmes de couleur étaient bonnes à satisfaire certains plaisirs
et pas davantage. Il suffit de lire Moreau de SAINT-MERY pour se rendre compte
à quel point la société de Saint-Domingue était
rongée par le préjugé de race. L?auteur s?attarde longuement
sur le chapitre des gens de couleur pour nous expliquer toutes les nuances épidermiques
qui pouvaient émaner de l?union des blancs, des noirs et des sang-mêlés17
. De même, en consultant les registres paroissiaux de la colonie, on constate
à quel point la couleur des parties citées dans les actes est
toujours minutieusement précisée18
. Toute personne de couleur, même très claire de peau, avait en
elle la marque du sang noir qui ne pouvait jamais s?effacer. Cette sentence
était perpétuée dans les actes officiels, de génération
en génération. Ainsi Marie-Louise LEFEVRE, compagne de Pascal
ELIE, était déclarée mulâtresse car née d?un
blanc et d?une négresse. Ses enfants de son union avec Pascal ELIE (blanc)
étaient inscrits sur les registres comme étant des quarterons.
Il suffit d?étudier la généalogie des familles de couleur
pour rencontrer une multitude d?exemples de ce genre.
Pascal ELIE en tant que grand commerçant
de la place devait se garder de commettre un acte »scandaleux» qui
aurait certainement causé la perte de son Entreprise. Cette situation
ne manquait pourtant pas de lui faire vivre de grandes frustrations. Voilà
donc un homme qui gagnait bien sa vie sous l?ancien régime, mais des
lois basées sur les préjugés raciaux et l?intransigeance
émanant du pouvoir ne lui permettaient pas de faire bénéficier
pleinement ses enfants de sa richesse. Il voyait avec douleur qu?après
da mort, les fruits de son travail reviendrait à l?état, donc
au Roi, et non à ses enfants. Cet homme a sans nul doute souffert de
cette situation injuste car son sentiment paternel était profond.
Pascal ELIE devait de surcroît difficilement
accepter que la classe minoritaire des gens de couleur, même libres, puisse
être systématiquement mise au ban de la société,
être traitée en paria. Il devait même s?identifier à
elle sur certains points. N?oublions pas qu?il était né d?un père
juif et la France de l?ancien régime n?était guère tolérante
vis-à-vis de cette communauté. Que ce soit sous l?instigation
du pouvoir royal ou de l?église, tous les préjugés étaient
exploités pour rendre la vie des juifs la plus difficile possible. Dans
son enfance, Pascal ELIE a dû être témoin d?un bon nombre
d?affronts strictement dûs à la condition de sa famille. Plusieurs
expériences malheureuses ont développé en lui un esprit
libéral et planté le grain qui germerait dans le futur en un amour
pour les idéaux révolutionnaires de liberté, d?égalité
et de fraternité. De plus, l?arrivée en France de son père,
Sabat ELIE, originaire du Mont Liban, au début du XVIIIe siècle
coïncide avec l?époque où la communauté des Musulmans
Druses ayant gagné en suprématie dans la région de la montagne
libanaise, les autres communautés maronites et juives eurent à
subir des persécutions19.
Ces conditions de vie furent très certainement à l?origine de
l?émigration de Sabat ELIE. Son fils, Pascal ELIE eut donc à la
base un héritage de pensée, à savoir que les minorités
étaient très souvent opprimées par des groupes plus puissants.
Comment n?aurait-il pas fait un parallèle entre les gens de couleur de
Saint-Domingue et les juifs de France?
Durant toutes les années qu?il vécut
à Saint-Marc, Pascal ELIE eut le constant souci de pourvoir aux besoins
élémentaires de sa concubine et de ses enfants. Cette préoccupation
se retrouve dans les différents contrats de société qu?il
eut à passer à diverses époques avec des associés
de la colonie. Dans un article vingtième de toutes ces ententes, il est
toujours convenu que »sa ménagère Marie-Louise ainsi que
ses enfants resteront dans la maison sociale, et il se flatte qu?à sa
considération ils (les associés) auront pour eux tous les égards
que leur conduite leur inspirera (?) se réservant, en outre, le dit sieur
ELIE, le petit logement sous la barrière de la maison sociale pour servir
de boutique à Marie-Louise»20
. Enfin quand Pascal ELIE quitta Saint-Domingue en 1788, il emmena ses enfants
créoles pour parfaire leur éducation en France. Après son
départ, il avait gardé des contacts épistolaires suivis
avec sa compagne, Marie-Louise, qui était resté à Saint-Domingue,
ainsi que des amis tels que Jean-Jacob SAINT-MACARY, l?un de ses fondés
de pouvoir à Saint-Marc. Ils le tenaient régulièrement
informé de ce qui se passait dans la colonie. Ainsi Pascal ELIE était
bien au courant des révoltes d?esclaves et d?affranchis qui secouèrent
Saint-Domingue dès 1791. Les hostilités qui mettaient aux prises
les blancs et les gens de couleur ne présageaient rien de bon pour la
colonie et en France les opinions étaient très divisées
sur la manière à employer pour résoudre le conflit. Pascal
ELIE était de ceux qui voulaient des réformes majeures et une
amélioration de sort des noirs et des gens de couleur21.
Il avait à c?ur que le gouvernement prenne des mesures énergiques
pour régler le problème et mettre ainsi fin à la tourmente
qui risquait de détruire la colonie, d?autant plus qu?il était
partie prenante sans cette affaire, sur le plan économique bien sûr
mais aussi et surtout sur le plan familial.
On voit bien par ailleurs, que l?engagement
révolutionnaire de cet homme était directement lié à
l?état de ses rapports avec ses enfants, grâce à sa déclaration
de leur reconnaissance qu?il fit devant le maire de Lucq de Béarn le
18 frimaire an II (8 décembre 1793). Cet acte très révélateur
mérite d?être repris en partie. »Le dix-huit frimaire deuxième
année de la république française une et indivisible, s?est
présenté le citoyen Pascal ELIE, autrefois négociant à
Saint-Marc, isle Saint-Domingue, aujourd?hui propriétaire dans cette
commune de Lucq et membre du comité de surveillance, lequel (?) nous
a dit, que sa tendresse paternelle trop longtemps contrariée par les
actions oppressives de l?ancien régime, avait gémi de ne pouvoir
reconnaître ses enfants que dès le premier instant ou la révolution
commença d?éclore il sentit son c?ur soulagé par l?espérance
de voir naître un nouvel ordre de choses qui devaient rendre à
l?homme sa dignité, à la nature l?exercice de ses droits les plus
chers. Qu?en conséquence, il s?empressa d?écrire à la mère
de ses enfants pour lui demander leur extrait baptistaire afin de pouvoir les
reconnaître au moment où des lois fondées sur les principes
de la raison et sur le v?u de la nature lui en donneraient la faculté»22.
Cette déclaration reflète bien le sentiment
paternel qui animait Pascal ELIE. Le vocabulaire qui est utilisé dans cet
acte rappelle beaucoup le texte de la Déclaration des Droits de l?Homme
et du Citoyen qui fut proclamée par la Constituante le 26 Août 1789,
garantissant les droits naturels de chaque individu, les hommes naissant et demeurant
libres et tous égaux devant la justice. De plus, Pascal ELIE reconnut ses
enfants l?année même où la Convention proclama l?abolition
de l?esclavage, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), six mois après
que le Commissaire Sonthonax eut pris l?initiative de l?affranchissement général
à Saint-Domingue le 27 Août 1793. De par la garantie des lois, il
pouvait dès lors se sentir libre de légaliser le statut de ses enfants.
Toutefois, en homme avisé, il ne se contenta pas de cette reconnaissance
pour assurer l?avenir de sa progéniture. En 1793, il rentra en rapport
avec CAMBACERES, alors Président du comité de législation
de la Convention Nationale, afin de lui faire constater la nécessité
de donner plus de latitude à la loi sur l?adoption afin d?y incorporer
les enfants nés outre-mer. Cette demande fut approuvée par CAMBACERES
comme l?indique la réponse de celui-ci en date du 29 septembre 1793, ainsi
que l?article du Code Civil y relatif qui fut voté par la suite23.
Même faiblement à distance, Pascal ELIE marqua de son empreinte l?élaboration
d?un article du Code Civil. Dès lors que les lois lui permettaient »d?adopter»
ses enfants, il entreprit les démarches en ce sens, mais elles furent longues
et fastidieuses. En effet, dès le 5 Octobre 1790, l?Assemblée Constituante
avait décidé la rédaction d?un Code de lois unique pour toute
la France et plusieurs projets furent rédigés entre 1793 et 1796.
Mais c?est seulement sous l?impulsion de Napoléon Bonaparte que ce travail
devait être entrepris sérieusement et mené à bien.
L?Oeuvre achevée, la loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804) réunit
toutes les lois en un seul corps sous le titre de Code Civil. Les démarches
de Pascal ELIE aboutirent finalement, quatorze ans après qu ?il les eut
entamées, à l?arrêt de la Cour d?Appel de Pau en date du 31
décembre 1807 et enregistré le 14 janvier 1808 confirmant l?adoption
de Marguerite, Marie-Louise, Nicolas et Jean-Jacob ELIE24.
Avec cet arrêté Pascal ELIE avait enfin la certitude et la tranquillité
d?esprit que nul ne pourrait maintenant venir contester le droit de ses enfants
à être ses héritiers directs. En cette fin d?année
1807, il pouvait enfin se dire que sans les acquis de la Révolution et
de la Proclamation des Droits de l?Homme et du Citoyen, il n?aurait certainement
jamais pu garantir à ses enfants de couleur la vie décente qu?il
avait toujours désiré leur assurer. Le dicton dit que l?amour fait
tourner le monde. Dans le cas de Pascal ELIE, c?est bien l?amour pour sa famille
qui gouverna les actes qu?il eut à poser sa vie durant.
Des deux fils de Pascal ELIE, l?aîné
Nicolas, demeura en France et devint percepteur des contributions directes25
, le cadet, Jean-Jacob, après avoir combattu dans les armées Napoléoniennes,
retourna en Haïti et devint Trésorier Général de la
République, puis Ministre des Finances26.
Avec la génération des enfants de Pascal ELIE, le lien France-Haïti
demeurait, même après l?indépendance de cette dernière
le 1er janvier 1804, car la famille ELIE ne rompit jamais ses attaches avec
l?ancienne colonie. De ce fait, parmi les nombreux enfants de Nicolas ELIE,
nés en France, il y en eut cinq qui émigrèrent vers la
»fabuleuse Perle des Antilles». De nos jours, la descendance de
Pascal ELIE se retrouve bien sûr en France et en Haïti, mais également
aux Etats-Unis, au Canada, au Vénézuéla, en Allemagne et
en Suède. Cette répartition géographique des héritiers
du héros de la Bastille montre bien, ne serait-ce que pas cet héritage
familial le rayonnement international de cet Révolution vieille de deux
cents ans qui a tant marqué le monde!
RÉFÉRENCES
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NDLR. : * Article ayant paru dans Conjonction, Revue Franco-Haïtienne. No.181, Juillet 1989, pp.93 à 105. Reproduit intégralement dans sa forme originale, sans altération, sans modification soit de style, soit de l?orthographe.
1. B.M. Pau, registres paroissiaux 1745-1748. Série E.
2. Cf. Jacques Cauna, » La présence Gasconne à Saint-Domingue : la contribution Landaise», in Bulletin de la Société de Borda, No 406, 2ème trimestre 1987, pp. 157 à 189.
3. Papiers Pascal Elie, communication de Mme. Lucienne Deschamps, Port-au-Prince, Haïti.
4. Papiers Pascal Elie, communication de Mme. Lucienne Deschamps, Port-au-Prince, Haïti.
5. Cf. Jean Fouchard, »Le théâtre à Saint-Domingue, Editions Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1988, p.215.
6. Cf. Jules Michelet, Histoire de la Révolution Française, tome 1, Editions Jean de Bonnot, Paris, 1974, pp 219 à 227 et communication aimable de Marcel Douyrou, Président du cercle Généalogique du Pays Basque.
7. Papiers Pascal Elie, communication de Mme. Lucienne Deschamps, Port-au-Prince, Haïti.
8. A .N.S.O.M. Indemnité 1831.
9. A.C. Lucq de Béarn, Etat civil 1808-1837.
10. Diplôme de la Légion d?honneur, collection Georges Elie, fils, Port-au-Prince, Haïti.
11. Cf. Robinet, Dictionnaire Biographique de la Révolution et de l?Empire, communication aimable de Marcel Douyrou.
11a. Cf. Jean Tulard, La vie Quotidienne des Français sous Napoléon, Editions Hachette, Paris, 1978, pp, 74 à 77.
12. A .N .S.O.M. Indemnité 1831.
13. A.N.S.O.M. registres paroissiaux de Saint-Marc, Saint-Domingue, 1772 à 1781.
14 . Cf. Pierre Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle, Editions Tallandier, 1984, pp 300 à 301.
15. Cf. Pierre Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle, Editions Tallandier, 1984, pp 208 à 209.
16. Cf. Pierre Pluchon, Nègres et Juifs au XVIIIe siècle, Editions Tallandier, 1984, pp 208 à 209.
17. Cf. Moreau de Saint-Méry, Description de la partie française de l?Isle Saint-Domingue. Tome i, édité par la Société de l?Histoire des Colonies Françaises, Paris, 1958, pp. 86 à 102.
18. A »N.S.O.M. Registres paroissiaux de Saint-Domingue.
19. Michel Mourre »Liban» in Dictionnaire Encyclopédique d?Histoire, volume K-M, Editions Bordas, Paris 1978, p. 2658.
20. Papiers Pascal Elie, communication de Mme. Lucienne Deschamps, Port-au-Prince, Haïti.
21. Papiers Pascal Elie, communication de Mme. Lucienne Deschamps, Port-au-Prince, Haïti.
22. A.C. Lucq de Béarn, registre des naissances, années 1795-1796.
23. A.C. Lucq de Béarn, registre des naissances, années 1795-1796.
24. A .D » Pyrénées-Atlantiques, minutes des délibérations de la Cour d?Appel de Pau, série U.
25. A .D » Pyrénées-Atlantiques, administration communale 1820, série O.
26. Cf. Thomas Madiou, Histoire d?Haïti, Tome dernier, édité par Léonce Madiou, Port-au-Prince 1904, p. 402 et A.N, Etat civil de Port-au-Prince 1835 à 1845.
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