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La parenté haïtienne de Trujillo
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Julio G. Campillo Perez Traduction: Robert R. Price
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NDLR : La traduction de Robert R. Price a paru dans la Revue
de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie d'Haïti, en décembre 2000.
(NDLR de la Revue de la Société Haïtienne d'Histoire et de Géographie
d'Haïti, en décembre 2000. « Nous reproduisons ci-dessous l'étude
sur les origines haïtiennes de Rafael Léonidas Trujillo, parue dans le numéro
[157] Juillet-décembre 1997, de la revue « Clio », organe
de l'Académie dominicaine d'Histoire. Cette étude signée de Julio G. Campillo
Perez, directeur de la publication et président de l'Académie, a été traduite
en français par M. Robert R. Price).
Quelques semaines après la proclamation de l'Indépendance dominicaine, le Conseil
Central de Gouvernement (Pouvoir Exécutif Provisoire) édicta un décret mettant
sous séquestre tous les biens meubles et immeubles ayant appartenu aux Haïtiens
vivant sur le territoire national, de même que les biens des tenants du parti
anti-séparatiste.1
Quelque temps après, la loi No. 52 du 2 juillet 1845 intégra ces propriétés au
domaine de l'état, ainsi que celles dont les propriétaires étaient inconnus, ou
qui avaient appartenu aux organisations antérieures ou aux organisations religieuses.2
Comme toute loi promulguée à la faveur de contingences politiques, celle-ci n'était
qu'au fond qu'une revanche à l'encontre d'une loi promulguée le 8 juillet 1824
par le Président Boyer au détriment des citoyens du pays opposés à l'occupation
haïtienne.
Au bout de deux ans, une nouvelle loi fut prise, appelée loi ampliative (la loi
No. 11 du 2 juillet 1847) en faveur des Haïtiens ou des ayants-droits haïtiens
dont la succession avait été ouverte avant mars 1844. Il était permis à ceux-là
de réclamer leurs droits, pour que leurs biens soient soustraits de la masse globale
déclarée faisant partie du patrimoine de l'état dominicain.3
Cette nouvelle disposition légale permettait en outre aux citoyens nés sur le
territoire national, de parents ou de grands-parents haïtiens, d'élire domicile
en République dominicaine afin de réclamer leur part d'héritage provenant de leurs
ancêtres.
C'est ainsi que parmi ces citoyens le mineur Leonidas Saladin Chevalier (Juan
Maria Léonidas Fortuné), dont la mère et tutrice, Eléonore Juliette Le Chevalier
(Eleonore Julieta) représentait les intérêts. Cette dernière fit donc les démarches
légales en ce sens ( Annexe1).
Effectivement, Leonidas était le fils légitime ou légitimé de feu Sylvestre Fortuné
Saladin Coustard et d'Eleonore Juliette Le Chevalier, connue comme familièrement
sous le nom de Diyette (1810-1905). Diyette était la fille de deux mulâtres libres
naturels d'Haïti, Bernard Le Chevalier et Louise Moreau. Du ait de cet ancêtre,
le mineur avait droit à la succession de son grand-père défunt Jean Marie Saladin,
citoyen de Port-au-Prince, qui avait été de son vivant commandant de la place
de Santo Domingo et colonel du 32e régiment haïtien. Il était lié au
Gouverneur haïtien (Alexis Carrié) à un point tel que ses enfants Marie Louise
et Alexandre épousèrent deux des enfants de Carrié portant le même prénom :
Alexandre et Marie Louise Carrié Levigne.4
Ainsi, dans la même succession où figurait Leonidas Saladin Chevalier,
se trouvaient également réunis sa tante, Marie-Louise, veuve d'Alexandre Carrié
(Lami ou Sati), une de ces cousines orphelines, Maria del Carmen, fille de Marie-Louise
Carrié et d'Alexandre Saladin Coustard (Adin), et enfin un de ses oncles, fils
naturel reconnu du vieux tronc Jean Marie Saladin, à cette époque, les fils naturels
héritaient du tiers des biens qui revenaient aux enfants légitimes.
Tous ces parents de Leonidas devaient en fin de compte perdre leur droit à la
succession. Et pour cause, ils avaient conservé leur nationalité haïtienne :
leurs biens furent donc confisqués au profit du domaine public de l'état. Fut
également comprise dans ce groupe, la demoiselle Elsise Arché (voir annexe 2),
légataire des biens meubles laissés par l'aïeul Saladin.
Les biens mobiliers comprenaient : a) une maison de deux étages située à
la rue El Conde, d'une valeur de 10.000 pesos ; b) une maison donnant face au
Monastère de San Francisco , avant 1.200 pesos ; c) une propriété à Yaca, 152
pesos ; d) d'une ferme à San Jeronimo, 3.250 pesos. Cette ferme à San Jeronimo
avait été vendue antérieurement par le Gouvernement pour payer une dette successorale
ascendante de 702.20 pesos.
Selon une résolution prise le 26 février 1848 en accord avec la loi de 1847, résolution
signée par la Justice et l'Instruction Publique, l'Intérieur et la Police, la
Guerre et la Marine, les Finances et le Commerce, le Pouvoir Exécutif reconnut
au mineur Leonidas Saladin Chevalier ses droits à la nationalité dominicaine.
En outre, il lui avait été assigné les 3/10e du patrimoine successoral,
à savoir des droits à une propriété indivis d'une valeur de 3.406.60 pesos et,
après jugement, le produit de la vente de la ferme de San Jeronimo, soit 746.30
pesos. Le comptable général de la ferme avait été autorisé à exécuter la résolution,
moyennant une entente à l'amiable avec la tutrice. Celle-ci devait faire exécuter
au préalable les formalités prévues par la loi sur la succession des mineurs.
Leonidas Saladin Chevalier- aux dires du licencié Gilberto Sanchez Lustrino5
en référence à son livre sur Trujillo ? était le frère utérin de Luisa Ercina
Chevalier, elle-même fille de Diyette et d'un citoyen haïtien Turenne Carrié.
De plus, Luisa Ercina était la mère de Julia Molina Chevalier, à son tour mère
de Rafael Leonidas Trujillo (voir annexe 3).
Leonidas Saladin Chevalier était donc le grand oncle de Trujillo, ce qui probablement
le choix de son second prénom. Et toujours selon Sanchez Lustrino, Diyette avait
épousé un compatriote haïtien du nom d Poirier de qui elle eut un fils prénommé
Stanilas.
Au fil des ans, la ferme San Jeronimo, en tout ou en partie, n'a pu être acquise
par Leonidas Saladin Chevalier, vu qu'elle avait été déjà vendue par l'état dominicain,
comme nous l'avons mentionné plus haut.
Cette ferme avait été achetée par plusieurs familles, entre autres la famille
Michelina ; elle devint par la suite l' « Edifice Ramfis »
domicile de Rafael Leonidas Trujillo y Molina, petit neveu de Leonidas Saladin
Chevalier et est actuellement le siège de la Chancellerie ou Secrétairerie des
Relations Extérieures.
Leonidas Saladin Chevalier a toujours entretenu de très bons rapports avec les
Trujillo y Molina. Ce fut d'ailleurs lui le parrain de sa nièce Altagracia Molina
Chevalier qu'il tînt sur les fonds baptismaux de l'église paroissiale de
San Cristobal le 17 novembre 1866 avec Altagracia Molina comme marraine. C'est
le prénom Chaladen qui figure dans l'acte de baptême. C'est ainsi qu'on prononçait
à l'époque le nom Saladin.
Il fut également témoin au mariage de sa s?ur Ercina Chevalier avec Juan
Pablo Pina Roson, mariage célébré dans la même église paroissiale de San Cristobal
le 27 mars 1882. Quelques années plus tard, il fut encore témoin au mariage conclu
entre les parents de Trujillo : Jose Trujillo Valdes et Julia Altagracia
ou Altagracia Julia Molina Chevalier, le 29 septembre 1887.6
En outre, Leonidas Saladin Chevalier fut Procureur syndiqué de San Cristobal en
1872 ; il fut deux fois Maire adjoint (1876-1877), (1896-1899) et deux fois Président
du Conseil communal ( 1877-1878), (1885-1886).7,8 De plus, on trouve
son nom et son adresse à la rue San Juan du village de San Cristobal dans l'album
de Enrique Deschamps « république Dominicaine »..9
En dépit des liens familiaux étroits mentionnés plus-haut ? phénomène inexplicable
? Rafael Leonidas Trujillo y Molina n'hésitera pas à faire persécuter et
massacrer les Haïtiens et, paradoxalement, ceci ne l'a pas empêché pour autant
de rendre hommage à ses ancêtres, particulièrement à sa famille maternelle, son
aïeule dona Ercina Chevalier, sa mère dona Julia Molina dont le sang haïtien coulait
dans ses veines.
Ce ressentiment qu'il semble avoir manifesté durant sa longue présidence serait-il
dû à son rejet par certains clubs sociaux du fait de son ascendance.
Annexe No.1
Acte de naissance de Leonidas Salidin Chevalier
(Juan Maria Leonidas Fortune)
Aujourd'hui le six août mille huit cent trente deux,
an vingt neuvième de l'Indépendance, à dix heures du matin, - Par devant,
nous, Martin Galicia, officier de l'état civil de la commune de Santo Somingo,
a comparu le citoyen Fortuné Saladin, originaire de Port-au-Prince, capitale
d'Haïti, majeur, Lieutenant du 92e régiment en garnison dans cette
place, accompagnés des citoyens Jean Marie Saladin, son père légitime,
Colonel de régiment et Commandant de la place et de la commune de Santo Domingo,
et Alexandre Saladin, son frère majeur, âgé de vingt cinq ans, adjudant-Capitaine
de la place, tous deux originaires de Port-au-Prince, lequel nous a présenté
un enfant de sexe masculin qu'il nous a déclaré être son fils naturel né de
ses ?uvres avec la citoyenne Eléonore Chevalier, native de cette ville.
Auquel enfant, le comparant a déclaré donner les prénoms et nom de Juan Leonidas
Fortuné. Dont acte fait en notre Hôtel en présence des témoins lesquels
après lesquels après lecture ont signé avec nous ainsi que le comparant dans
le Registre de l'état civil affecté à cette fin.
Signés : M.A. GaliciaQ, Fortuné Saladin
Registre 15 Livre 3 des Actes de l'état civil
Registre des Naissances, 1831-1834
Ref : 452
Annexe No. 2
Résolution du gouvernement dominicain
26 février 1848 en faveur de l'héritier
Leonidas Saladin Chevalier
Document No. 29
Vu la requête de la dame Eleonor Julieta Chevalier, veuve
Saladin, réclamant en sa qualité de mère et tutrice de son fils légitime mineur
Leonidas Saladin, le partage des biens de la succession de feu Juan Maria
Saladin, afin que son sus-nommé fils puisse entrer en possession de la portion
lui revenant en tant qu'héritier légitime dominicain sous bénéfice de l'inventaire
et documents additionnels par elle présentés, ce qui prouve qu'il ne saurait
y avoir de discussion ni de doute sur la validité des droits de son fils en
ce qui concerne trois immeubles, le partage peut avoir lieu sans aucune interdiction
de la justice ; vu la loi du 2 juillet 1847, ampliative à celle du 3 juillet
1845 sur les biens nationaux , après délibération en Conseil des Ministres,
il est déclaré que conformément aux données apposées au bas de cet accord,
le mineur héritier dominicain a droit aux sept dixième des trois immeubles,
faisant partie de la successionSaladin, situés sur le territoire dominicain
comme suit :
Treize mille cinq cents six pesos et cinquante centimes????$
13.506.50
De cette somme, sont déduits mille cent soixante deux pesos et cinquante centimes????????????????????????.$
1.162.50
provenant de meubles légués par le testateur à Mlle Elisa Arché
Sont partagés ?????????????????????..$
12. 344.00
De cette somme, sont prélevés les neuf cent vingt deux pesos, valeur actuelle
de la ferme de San Francisco vendue par le gouvernement pour payer quelques
dettes du défunt, reste à partager ce qui a été encaissé.
En possession du gouvernement se trouvent onze mille cent cinquante deux
pesos sur la valeur des immeubles.
A savoir :
La maison située au haut de la rue Condé estimée dans l'inventaire de
la Justice à
$ 10.000.00
|
La maison en face de San Fransisco |
$ 1.200.00 |
Les propriétés de Yaca |
$ 152.00 |
Total |
$ 11.352.00 |
Reviennent au gouvernement
|
|
De la portion de l'épouse de S. Carrié
| $ 3.405.60
|
De la portion de la fille de Adin Saladin
| $ 3.405.60
|
De la portion de l'enfant naturel male
| $ 1.135.20
|
Reviennent à l'héritier dominicain Leonidas. |
$ 3.405.60 |
|
---------------- |
|
$ 11.352.00 |
La ferme de San Jéronimo a été vendue en monnaie courante pour trois mille
deux cent cinquante centimes (sic)
| $ 3.250.00
|
De cette somme a été encaissé sept cent deux et vingt centimes
| $ 702.20 |
Se trouvent dans les caisses
| $ 2.547.80
|
Se trouvent dans la caisse publique
| $ 2.567.80
|
Distribués comme immeubles, reviennent au gouvernement provenant :
|
De la portion de l'épouse de Lami
| $ 764.34
|
De la portion de la fille Adin
| $ 764.34
|
De la portion de l'enfant mâle naturel
| $ 256.78
|
Reviennent à l'héritier dominicain Leonidas
| $ 764.34
|
Total
| $ 2.547.80 (sic) |
En ce qui a trait aux domaines, chacune des portions, conformément à l'estimation
de la Justice, est inventoriée à trois mille quatre cent cinquante cinq pesos
et soixante centimes, et pour chacune d'elle, le partage, l'adjudication et
la prise de possession seront exécutés par le Comptable en chef du Département
des Finances avec lequel pourra négocier la mère et tutrice, comme de fait elle
est autorisée à le faire après délibération en conseil de famille, ceci
pour éviter toute communauté et indivision et aussi pour que le gouvernement
et l'héritier dominicain soient payés et puissent entrer en possession de ce
qui leur revient de la dite succession.
Il est donc déclaré et reconnu à l'héritier dominicain le droit de recevoir
sept cent soixante pesos trente quatre centimes en monnaie nationale, représentant
les sept dixième de la somme de mille cinq cent quarante sept pesos quatre vingt
centimes encaissés par le Trésor en tant que résidu de la vente de la ferme
de San Jéronimo, selon ce qu'il appert des données établies dans l'arrangement
et liquidation par la famille Saladin, eu égard aux biens passés dans le domaine
des héritiers et la portion revenant àl'héritier précité. Copie sera remise
au Comptable en Chef à telles fins que de droit
Donné à Santo Domingo le 26
février 1848 par :
Le Ministre de la Justice et
de l'Intérieur (D.F.)
Le Ministre des Finances et
du Commerce (D.F.)
Le Ministre de la Guerre et
de la Marine (D.F.)
(Livre général des Registres
de la Cour des Comptes, Tome 1, Archives Générales de la Nation)
Annexe No.1
Acte de naissance de Trujillo
Je, Lizia R/MARIBEL DIAZ RONE Lic. Officier de l'état civil de la 1er
Circ. De S.C. Républqiue Dominicaine, CERTIFIE : que dans les archives
à moi confiées existe un acte de NAISSANCE enregistré au No. 4104, Livre 23,
Registre 304, de l'année 1893, duquel sont extraites les données suivantes :
No. ?4304. ? RAFAEL LEONIDAS.-
Qu'en la date du onze du mois de décembre de l'année mille huit cent quatre
vingt treize a comparu le Prêtre Don MARCELINO BORBON Y PERALTA, curé de cette
ville, résidant dans ce village, lequel a déclaré, que le jour du vingt quatre
du mois d'octobre de l'année mille huit cent quatre vingt onze, est né RAFAEL
LEONIDAS, fils de monsieur José Trujilo Valdez, Administrateur des Postes et
de la dame Altagracia Julia Molina de Trujillo, couturière, tous deux domiciliés
dans cette ville, la marraine, Madame Silveria Valdez, et les témoins :
messieurs Saturnimo Sanchez et Juan Mateo, tous deux domiciliés en cette ville.
APPENDICE
TABLES GÉNÉALOGIQUES
(produites par Robert Price)
1- Ascendance et collatéraux
de Leonidas Saladin Chevalier
2-A Ascendance et Parenté haïtienne de Trujillo
2-B Ascendance et Parenté haïtenne de Trujillo
RÉFÉRENCES
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1 Collection de Leyes Decreto Resolutionnes, etc, Santo Domingo.
2 Édicion 1830. Témo 1. Pags 17-18.
3 Ibidem 9 pags 174-178.
4 Ibidem. Pags 365-367
5 Carlos Larrazébal Blanco « Familias Dominicanas » Tomos V111, Santo Domingo 1980.
6 Gilberto Sanchez Lustrino Trujillo, el constructor de una nacionalidad. Cultural s.A. Habana. Pags 29-31.
7,8 Emilio Rodriguez Demorizi, « San Cristobal de Antaflo » Santo Domingo, 1946, Pags 49-52. 8. Ibidem, pags 68-70, 79, 96-101.
9 Enreque Deschamps « La Republica Dominicana », edicion Barcelona 1907, Pags 146-150. Segunda parte.
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