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Peter Frisch
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Julien RUCHER-BAZELAIS est né le
3 février 1725, année du mariage du roi de France, Louis XV le
Bien-Aimé, avec Marie Leszcznska de Pologne. Il a vu le jour à
Pornic 1., petit village pêcheur de
la Côte de Jade, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest
de Nantes. Il était issu d?une familles bourgeoise et de bonne souche
bretonnes. Son grand-père paternel, Pierre RUCHER, avait été
chirurgien du roi de France à La Marne et Machecoul. Son père
Julien RUCHER de la BAZELAIS, était médecin juré du roi
à Pornic et sergent royal des marches communes de Poitou et Bretagne.
Julien père, natif de Machecoul,
s?était fixé à Pornic après y avoir épousé
le 9 avril 1720 2. une Pornicaise de bonne
famille, Anne CHEVALIER de la ROBINIERE.Les RUCHER étaient une typique
famille bourgeoise du 18ème siècle français
qui, ayant financièrement réussi aspirait à acquérir
des titres de noblesse. Dans ce dessein, Pierre RUCHER avait acheté vers
1705 la maison et le domaine noble des «Trois-Boisselées» à Saint
Même le Tenu (ancien démembrement de la seigneurie du Branday).
Dès lors, il avait rattaché à son patronyme le nom de sa
terre, transformé pour des raisons esthétiques en BAZELAIS. Être
appelé Pierre RUCHER sieur de la BAZELAIS avait certainement une consonance
plus noble! Son fils Julien, héritier du domaine, continua à poser
les jalons. Il réussit à obtenir la charge anoblissante de médecin
juré du roi. Il avait de plus épousé la fille de Gilles
CHEVALIER de la GRANDVILLE, procureur fiscal du duché de Retz à
Pornic.
Ainsi, en l?espace de trois générations, les
RUCHER passèrent de l?état de roturiers à celui d?une famille
qui vivait «noblement». Cela n?en faisait pas pour autant des nobles, bien qu?ils
en présentassent toutes les apparences. Ce fut dans cet univers bourgeois
en mal de noblesse qu?évolua Julien fils durant les premières
années de sa vie. Il était le troisième enfant d?une série
de neuf, dont quatre garçons et cinq filles. Le père RUCHER de
la BAZELAIS entendait bien poursuivre cette ascension sociale. Pour lui, il
était clair que son fils aîné, Julien, deviendrait à
son tour médecin juré du roi.
C?est là une charge héréditaire
qui, si elle était maintenue honorablement dans la famille durant trois
générations, assurait l?anoblissement avec la délivrance
par le roi des lettres patentes. Le père Julien voyait déjà
les privilèges auxquels ses petits-enfants, accédant à
la noblesse de robe, auraient droit, tels la dispense d?impôts ou encore
être reçus à la cour du roi, au Palais de Versailles. Ah
! Versailles !. Qui ne rêvait pas d?y être convié et de pouvoir
serrer les coudes avec les plus grands du royaume ?
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Pourtant, le jeune Julien ne semblait pas
attacher trop d?importance aux grands projets de son père. Son enfance
dans le petit port de Pornic avait développé en lui le goût
de la mer. Il était passionné par les récits des marins
qui lui contaient mille aventures. , les unes plus merveilleuses que les autres.
Le docteur RUCHER de la BAZELAIS, qui b?appréciait guère l?influence
des hommes de mer sur l?esprit vagabond et rêveur de son fils, l?envoya
faire ses études à Nantes. En dépêchant Julien à
la villes, il espérait pouvoir mieux le contrôler et lui faire
prendre goût à la médecine, tout en effaçant sont
penchant pour la marine. Or, le père RUCHER de la BAZELAIS venant à
mourir en mars 1739, son influence sur son fils, alors âgé de 14
ans, devait brusquement prendre fin. À l?inverse des v?ux du père,
Nantes, grand port de la côte atlantique, devait davantage développer
chez le jeune Julien l?attrait de l?océan et l?appel du large.
Au milieu du 18ème siècle,
Nantes était la capitale du commerce avec les colonies antillaise et
le haut lieu de la traite négrière. Le système de l?exclusif
(monopole du commerce avec les colonies, réservé à la métropole)
avait crée dans ce port de l?embouchure de la Loire une importante classe
de commerçants et d?Armateurs puissants et fortunées. Grâce
à Richelieu, ministre de Louis X111, et à Colbert, énergique
ministre de la Marine de Louis X1V, la France s?était taillé un
bel empire colonial en Amérique (Canada, Louisiane, Martinique, Guadeloupe
et la fabuleuse Saint-Domingue). La France avait développé une
formidable flotte de guerre qui assurait à ses navires marchands la sécurité
des routes maritimes. Le café, le tabac, le coton, l?indigo et surtout
le sucre arrivaient en grande quantité dans les ports français
et la métropole approvisionnait ses colonies en esclaves, outils et produits
manufacturés. Ce développement considérable du commerce
fit de la France la principale puissance économique de l?époque.
Le succès et la fortune vinrent pourtant
avec leur coût. Les luttes entre puissances coloniales pour le contrôle
des océans et donc des colonies étaient constantes. La France
devait en permanence défendre ses acquis face à son ennemi de
toujours : l?Angleterre. Ce fut dans ce contexte de rivalité féroce
qu?éclata en 1740 la guerre de Succession d?Autriche qui mit aux prise
la France, l?Angleterre, la Hollande et la Prusse. Ce fut en plein conflit,
en 17433., que Julien RUCHER-BAZELAIS, alors
âgé de 18 ans, commença sa carrière de marin. Malgré
les dangers du moment, rien ne pouvait empêcher le jeune homme de concrétiser
son rêve : prendre la mer et conquérir les horizons lointains.
Il aimait trop l?aventure. Grâce à ses relations et ses contacts
familiaux, il ne tarda pas à se faire employer par des négociants
et armateurs nantais. Julien s?adonna au commerce des îles, et à
la traite négrière au profit de messieurs Abraham Braudan, Charles
Gillard et Grou. Pour le commerce des îles, la durée du voyage
était relativement courte : le temps de se rendre à Saint-Domingue
ou à la Martinique et d?en revenir, soit environ six mois. C?était
ce que l?on appelait le «voyage en droiture». Par contre, le«voyage circuiteux»
(la traite), avec ses escales en Afrique, durait entre un et deux ans. Ayant
quitté Nantes avec une cargaison de colifichets, le capitaine se rendait
sur la côte de Guinée ou d?Angole pour les échanger contre
le«bois d?ébène». C?était là le nom pudique donné
aux esclaves noirs. De là, le navire se rendait en Amérique où
étaient vendus les esclaves. Le plus souvent, cette transaction était
faite en nature et le capitaine se faisait payer en denrées exotiques,
qui étaient ramenées à Nantes pour y être vendues
par les négociants de la Place. C?était le fameux commerce triangulaire.
Julien RUCHER-BAZELAIS, homme de compétence,
apprit très vite le métier, effectuant des traversées au
grade de lieutenant de navire, puis de capitaine en second. À titre d?exemple,
voici un voyage type que fit Julien durant sa carrière de marin. Le 18
octobre 17524., il partit pour une traite
à bord du navire «Le Duc de Bourgogne», avec pour capitaine Étienne
Fessard. En janvier 1753, il arriva à Juda, sur la côte d?Afrique,
pour prendre une cargaison de noirs. Partant le 8 mars 1753, il accosta à
Saint-Marc, île de Saint-Domingue, le 29 juin. Après y avoir vendu
les esclaves et fait le plein de sucre et d?indigo, il reprit la mer le 28 août.
Le navire regagna Nantes le 15 novembre 1753, soit treize mois après
avoir quitté l?estuaire de la Loire. Il est facile de constater que notre
cher Julien RUCHER-BAZELAIS vivait davantage sur les flots que sur la terre
ferme. Il avait fini par être habitué à dormir dans un hamac,
bercé par le roulis du navire, que dans un lit bien matelassé.
Julien RUCHER-BAZELAIS offrit aussi ses
services au roi de France. En 1742, durant la guerre de Succession d?Autriche,
alors qu?il n?était âgé que de 17 ans, il fut lieutenant
sur le corsaire «La Bellone» pris par le roi pour porter secours au prétendant
en Écosse. En 1756, au début de la guerre de Sept Ans contre l?Angleterre,
il fut également lieutenant sur la corvette du roi «l?Écureuil»,
sous le commandement de monsieur Le Mouton du Manoir, chevalier de Saint-Louis.
Cette guerre de Sept Ans était encore due à al rivalité
franco-anglaise au sujet des colonies. La France devait sortir affaiblie de
cette guerre, ayant perdu au profit des Anglais le Canada, une bonne partie
de la Louisiane, certaines îles des Antilles et beaucoup de son prestige.
Julien navigua durant près de vingt
ans, à la plus grande satisfaction de ses employeurs. De 1758 à
1762, il fut capitaine en second à bord du «Pallu» pour le compte des
armateurs-négociants Braudan et Gillard. Son supérieur était
le capitaine Julien Edouard Tanquerelle. Durant ces quatre années, il
fit trois voyages en droiture pour le Cap-Français et Saint-Marc. Il
apportait des produits de la métropole dans la colonie et ramenait les
denrées coloniales à Nantes. Ces opérations furent très
fructueuses pour messieurs Braudan et Gillard. À la fin de la guerre
de Sept Ans, ces derniers, voulant tirer un plus grand avantage de l?augmentation
du commerce colonial, particulièrement avec Saint-Domingue, décidèrent
d?installer une succursale dans cette colonie. Saint-Marc5.
était l?un des quatre ports de Saint-Domingue ouverts au commerce extérieur.
Cette ville était le centre des affaires pour tout le quartier de l?Artibonite,
des Gonaïves à Montrouis. Messieurs Braudan et Gillard firent donc
choix de cette ville pour l?installation de leur maison et ils y envoyèrent
en 1763 Julien RUCHER-BAZELAIS comme leur représentant permanent. À
ce titre, il eut la responsabilité de monter et de gérer la filiale;
tâche qu?il accomplit avec brio. En ce temps-là, Saint-Marc était
une agglomération très animée et prospère, comptant
environ 7 000 habitants et 155 maisons. Julien avait le sens des affaires et
devint très vite un grand négociant de la place. Il recevait les
produits de France et les esclaves d?Afrique qu?il vendait à bon compte.
En retour, il expédiait à Nantes, le sucre, le coton, l?indigo
de l?Artibonite qu?il achetait des planteurs et conservait dans les entrepôts,
en attendant l?arrivée du prochain navire expédié par ses
patrons. Julien RUCHER-BAZELAIS se fit une belle réputation en peu de
temps. Il devint une si grande personnalité que le 21 octobre 1765, soit
à peine deux ans après son arrivée dans la colonie, le
gouverneur général, comte d?Estaing, le commissionna capitaine
de port à Saint-Marc. Ses vingt années d?expérience comme
marin avaient beaucoup contribué à sa nomination. En sus de ses
activités commerciales, Julien avait à présent la responsabilité
d?assure le service intérieur du port, gérant l?arrivée
et le départ de tous les navires qui touchaient Saint-Marc. En 1771,
le préfet apostolique de Saint-Domingue le nomma marguiller en charge
pour la paroisse de Saint-Marc chargé d?administrer les biens de la paroisse.
Dans son cas, Julien était le responsable en chef.
Durant son passage à Saint-Marc,
Julien RUCHER-BAZELAIS, comme tout bon colon, s?était attaché
une ménagère, en la personne de Rose MAHOU dite DAGUERRE, une
jolie et délicieuse petite mulâtresse, plus jeune que lui de vingt-huit
ans. Monsieur RUCHER-BAZELAIS avait besoin d?une compagne avec qui il pourrait
partager ses nuits. Rose lui donna deux enfants6. :
Laurent *, né en 1770, et Pierre, né en 1772. Rose était
née à Saint-Marc en novembre 1753, fille de Pierre MAHOU et de
Magdelaine ARCHIN, mulâtres libres originaires des Verrettes. Les tabous
et préjugées de la société domingoise ne permettaient
toutefois pas à Julien de légaliser sa relation et de reconnaître
ses fils. Par ailleurs, il ne le voulait point, vu que sa compagne et cette
progéniture de couleur ne pouvaient être aptes, selon la législation
de l?époque, à porter nom et à lui succéder.
Pourtant, le jeune Julien ne semblait pas
attacher trop d?importance aux grands projets de son père. Son enfance
dans le petit port de Pornic avait développé en lui le goût
de la mer. Il était passionné par les récits des marins
qui lui contaient mille aventures. , les unes plus merveilleuses que les autres.
Le docteur RUCHER de la BAZELAIS, qui b?appréciait guère l?influence
des hommes de mer sur l?esprit vagabond et rêveur de son fils, l?envoya
faire ses études à Nantes. En dépêchant Julien à
la villes, il espérait pouvoir mieux le contrôler et lui faire
prendre goût à la médecine, tout en effaçant sont
penchant pour la marine. Or, le père RUCHER de la BAZELAIS venant à
mourir en mars 1739, son influence sur son fils, alors âgé de 14
ans, devait brusquement prendre fin. À l?inverse des v?ux du père,
Nantes, grand port de la côte atlantique, devait davantage développer
chez le jeune Julien l?attrait de l?océan et l?appel du large.
Au milieu du 18ème siècle,
Nantes était la capitale du commerce avec les colonies antillaise et
le haut lieu de la traite négrière. Le système de l?exclusif
(monopole du commerce avec les colonies, réservé à la métropole)
avait crée dans ce port de l?embouchure de la Loire une importante classe
de commerçants et d?Armateurs puissants et fortunées. Grâce
à Richelieu, ministre de Louis X111, et à Colbert, énergique
ministre de la Marine de Louis X1V, la France s?était taillé un
bel empire colonial en Amérique (Canada, Louisiane, Martinique, Guadeloupe
et la fabuleuse Saint-Domingue). La France avait développé une
formidable flotte de guerre qui assurait à ses navires marchands la sécurité
des routes maritimes. Le café, le tabac, le coton, l?indigo et surtout
le sucre arrivaient en grande quantité dans les ports français
et la métropole approvisionnait ses colonies en esclaves, outils et produits
manufacturés. Ce développement considérable du commerce
fit de la France la principale puissance économique de l?époque.
Le succès et la fortune vinrent pourtant
avec leur coût. Les luttes entre puissances coloniales pour le contrôle
des océans et donc des colonies étaient constantes. La France
devait en permanence défendre ses acquis face à son ennemi de
toujours : l?Angleterre. Ce fut dans ce contexte de rivalité féroce
qu?éclata en 1740 la guerre de Succession d?Autriche qui mit aux prise
la France, l?Angleterre, la Hollande et la Prusse. Ce fut en plein conflit,
en 17433., que Julien RUCHER-BAZELAIS, alors
âgé de 18 ans, commença sa carrière de marin. Malgré
les dangers du moment, rien ne pouvait empêcher le jeune homme de concrétiser
son rêve : prendre la mer et conquérir les horizons lointains.
Il aimait trop l?aventure. Grâce à ses relations et ses contacts
familiaux, il ne tarda pas à se faire employer par des négociants
et armateurs nantais. Julien s?adonna au commerce des îles, et à
la traite négrière au profit de messieurs Abraham Braudan, Charles
Gillard et Grou. Pour le commerce des îles, la durée du voyage
était relativement courte : le temps de se rendre à Saint-Domingue
ou à la Martinique et d?en revenir, soit environ six mois. C?était
ce que l?on appelait le «voyage en droiture». Par contre, le«voyage circuiteux»
(la traite), avec ses escales en Afrique, durait entre un et deux ans. Ayant
quitté Nantes avec une cargaison de colifichets, le capitaine se rendait
sur la côte de Guinée ou d?Angole pour les échanger contre
le«bois d?ébène». C?était là le nom pudique donné
aux esclaves noirs. De là, le navire se rendait en Amérique où
étaient vendus les esclaves. Le plus souvent, cette transaction était
faite en nature et le capitaine se faisait payer en denrées exotiques,
qui étaient ramenées à Nantes pour y être vendues
par les négociants de la Place. C?était le fameux commerce triangulaire.
Julien RUCHER-BAZELAIS, homme de compétence,
apprit très vite le métier, effectuant des traversées au
grade de lieutenant de navire, puis de capitaine en second. À titre d?exemple,
voici un voyage type que fit Julien durant sa carrière de marin. Le 18
octobre 17524., il partit pour une traite
à bord du navire «Le Duc de Bourgogne», avec pour capitaine Étienne
Fessard. En janvier 1753, il arriva à Juda, sur la côte d?Afrique,
pour prendre une cargaison de noirs. Partant le 8 mars 1753, il accosta à
Saint-Marc, île de Saint-Domingue, le 29 juin. Après y avoir vendu
les esclaves et fait le plein de sucre et d?indigo, il reprit la mer le 28 août.
Le navire regagna Nantes le 15 novembre 1753, soit treize mois après
avoir quitté l?estuaire de la Loire. Il est facile de constater que notre
cher Julien RUCHER-BAZELAIS vivait davantage sur les flots que sur la terre
ferme. Il avait fini par être habitué à dormir dans un hamac,
bercé par le roulis du navire, que dans un lit bien matelassé.
Julien RUCHER-BAZELAIS offrit aussi ses
services au roi de France. En 1742, durant la guerre de Succession d?Autriche,
alors qu?il n?était âgé que de 17 ans, il fut lieutenant
sur le corsaire «La Bellone» pris par le roi pour porter secours au prétendant
en Écosse. En 1756, au début de la guerre de Sept Ans contre l?Angleterre,
il fut également lieutenant sur la corvette du roi «l?Écureuil»,
sous le commandement de monsieur Le Mouton du Manoir, chevalier de Saint-Louis.
Cette guerre de Sept Ans était encore due à al rivalité
franco-anglaise au sujet des colonies. La France devait sortir affaiblie de
cette guerre, ayant perdu au profit des Anglais le Canada, une bonne partie
de la Louisiane, certaines îles des Antilles et beaucoup de son prestige.
Julien navigua durant près de vingt
ans, à la plus grande satisfaction de ses employeurs. De 1758 à
1762, il fut capitaine en second à bord du «Pallu» pour le compte des
armateurs-négociants Braudan et Gillard. Son supérieur était
le capitaine Julien Edouard Tanquerelle. Durant ces quatre années, il
fit trois voyages en droiture pour le Cap-Français et Saint-Marc. Il
apportait des produits de la métropole dans la colonie et ramenait les
denrées coloniales à Nantes. Ces opérations furent très
fructueuses pour messieurs Braudan et Gillard. À la fin de la guerre
de Sept Ans, ces derniers, voulant tirer un plus grand avantage de l?augmentation
du commerce colonial, particulièrement avec Saint-Domingue, décidèrent
d?installer une succursale dans cette colonie. Saint-Marc5.
était l?un des quatre ports de Saint-Domingue ouverts au commerce extérieur.
Cette ville était le centre des affaires pour tout le quartier de l?Artibonite,
des Gonaïves à Montrouis. Messieurs Braudan et Gillard firent donc
choix de cette ville pour l?installation de leur maison et ils y envoyèrent
en 1763 Julien RUCHER-BAZELAIS comme leur représentant permanent. À
ce titre, il eut la responsabilité de monter et de gérer la filiale;
tâche qu?il accomplit avec brio. En ce temps-là, Saint-Marc était
une agglomération très animée et prospère, comptant
environ 7 000 habitants et 155 maisons. Julien avait le sens des affaires et
devint très vite un grand négociant de la place. Il recevait les
produits de France et les esclaves d?Afrique qu?il vendait à bon compte.
En retour, il expédiait à Nantes, le sucre, le coton, l?indigo
de l?Artibonite qu?il achetait des planteurs et conservait dans les entrepôts,
en attendant l?arrivée du prochain navire expédié par ses
patrons. Julien RUCHER-BAZELAIS se fit une belle réputation en peu de
temps. Il devint une si grande personnalité que le 21 octobre 1765, soit
à peine deux ans après son arrivée dans la colonie, le
gouverneur général, comte d?Estaing, le commissionna capitaine
de port à Saint-Marc. Ses vingt années d?expérience comme
marin avaient beaucoup contribué à sa nomination. En sus de ses
activités commerciales, Julien avait à présent la responsabilité
d?assure le service intérieur du port, gérant l?arrivée
et le départ de tous les navires qui touchaient Saint-Marc. En 1771,
le préfet apostolique de Saint-Domingue le nomma marguiller en charge
pour la paroisse de Saint-Marc chargé d?administrer les biens de la paroisse.
Dans son cas, Julien était le responsable en chef.
Durant son passage à Saint-Marc,
Julien RUCHER-BAZELAIS, comme tout bon colon, s?était attaché
une ménagère, en la personne de Rose MAHOU dite DAGUERRE, une
jolie et délicieuse petite mulâtresse, plus jeune que lui de vingt-huit
ans. Monsieur RUCHER-BAZELAIS avait besoin d?une compagne avec qui il pourrait
partager ses nuits. Rose lui donna deux enfants6. :
Laurent *, né en 1770, et Pierre, né en 1772. Rose était
née à Saint-Marc en novembre 1753, fille de Pierre MAHOU et de
Magdelaine ARCHIN, mulâtres libres originaires des Verrettes. Les tabous
et préjugées de la société domingoise ne permettaient
toutefois pas à Julien de légaliser sa relation et de reconnaître
ses fils. Par ailleurs, il ne le voulait point, vu que sa compagne et cette
progéniture de couleur ne pouvaient être aptes, selon la législation
de l?époque, à porter nom et à lui succéder.
Au bout de dix années de travail
à Saint-Domingue, ayant accumulé un capital appréciable,
Julien décida d'établir sa propre maison de commerce. En juin
1773, il retourna à Nantes afin d?y fonder son négoce. Il avait
fini par se faire de nombreux amis dans la colonie, dans le milieu des affaires
et des planteurs. Il avait accumulé une masse de connaissances en matière
de finances et de commerce. Il était prêt à voler de ses
propres ailes. Comme tout bon négociant qui se respectait, Julien s?installa
au quartier de la Fosse, rue Marine, non loin des quais. Ce lieu du haut négoce
nantais permettait aux intéressés de suivre de près les
mouvements du port. Armel de Wismes,7. chroniqueur
de l?histoire des ports de la côte atlantique, nous informe que la Fosse
était «le véritable centre nerveux de Nantes». C?était
là que travaillaient chaque jour quatre à cinq mille marins et
ouvriers. Devant les maisons et les entrepôts, tout était consacré
à la mer et «trafic des îles». La Fosse symbolisait l?éclatante
prospérité de l?un des premiers ports du monde. Par les fenêtres
de sa demeure , Julien pouvait contrôler toutes les allées et venues :
les bateaux qui sortaient, ceux qui rentraient. Monsieur RUCHER-BAZELAIS monta
son affaire et se spécialisa dans le commerce avec Saint-Domingue où
il avait établi d?excellents contacts. Il était en rapport avec
monsieur Paul Feschenx qu?il avait connu à Saint-Marc et qui était
à présent installé à Pau, dans le sud-ouest. Son
correspondant à Saint-Marc était monsieur Jean Jacop Saint-Macary.
Homme consciencieux, sage et ayant le sens des affaires Julien devint un grand
négociant de Nantes. Son commerce fonctionnait à merveille et
il amassait une belle fortune.
Jugeant qu?il était temps qu?il fondât
une famille et se trouvât des héritiers, Julien chercha épouse.
Il avait bien eu deux fils à Saint-Domingue, amis la condition de leur
naissance, à ses yeux, ne leur donnait pas le statut d?ayants droit à
sa succession. Dans la société bourgeoise et d?affaires de Nantes,
les grandes familles étaient très soudées et s?alliaient
étroitement entre elles. Il était bon, pour un grand négociant,
de consolider son capital en s?alliant à une famille également
détentrice de capitaux. Cette classe vivait en clan très homogène
et fermé. Julien RUCHER-BAZELAIS appartenait d?emblée à
cette classe. Ainsi, il n?eut point de mal à trouver une femme peu de
temps après son retour de Saint-Domingue. Le 31 mai 1774,8.
il épousa en l?église Saint-Nicolas de Nantes, Michèle
CHAILLOU de LETANG, fille d?Ambroise Julien CHAILLOU seigneur de LETANG, écuyer,
conseiller et maître de la Chambre des comptes de Bretagne. Il se marie
juste vingt jours après l?accession de Louis XVI au trône de France.
Madame RUCHER-BAZELAIS fut prolifique et donna à son mari dix enfants,
nés entre 1775 et 1791 9.
Julien RUCHER-BAZELAIS était un personnage
à Nantes. Il avait accumulé une bonne fortune et, depuis le décès
de sa mère, survenu à Pornic le 22 décembre 1775, il avait
hérité des domaines et propriétés de la famille
à Pornic, Machecoul et Saint Même le Tenu. Épicurien, amateur
de bonnes choses. Julien menait grande vie. Il aimait l?art, la musique et le
théâtre. Il ne ratait que très rarement les spectacles qui
étaient présentés dans sa ville. Très friand de
beaux costumes, il prenait plaisir à se faire voir richement accoutré,
portant l?épée comme un gentilhomme, et s?appuyant sur une haute
canne à pommeau d?or, coiffé, poudré, en habit de soie
de couleur sombre ou tendre suivant les saisons, en longue veste et culotte
également de soie, bas blancs et souliers à larges boucles d?argent.
Comme tous les grands du négoce, Julien RUCHER-BAZELAIS entendait marquer
la différence. Armant10 des navires,
soutenant des banques, participant à toutes sortes d?affaires importantes,
il faisait partie d?une nouvelle aristocratie. Quand il voulait s?évader
de la vie trépidante et bruyante de la ville, il se retirait sur ses
domaines avec sa famille. Il aimait particulièrement se rendre à
celui des «Trois-Boisselées». L?été tout le monde s?y rendait
et y séjournait un bon mois, question d?être plus proche de la
nature. Il est vrai que le grand succès de «La Nouvelle Héloïse»,
roman de Jean-Jacques Rousseau, avait mis la campagne à la mode. On aimait
les déjeuners champêtres, participer aux moissons?
S?étant crée une réputation
et un renom, Julien fut élu échevin de la ville de Nantes. Sous
l?Ancien régime, il s?agissait d?un magistrat municipal qui était
chargé de l?administration de la ville. À ce titre, Julien RUCHER-BAZELAIS
se trouvait au premier plan de toutes les questions financières, juridiques,
de police et d?édilité concernant sa bonne ville de Nantes. Pourtant,
la vie devait réserver de bien fâcheux revers à Julien;
lui qui voyait son avenir radieux et prometteur. La situation économique
de la France allant se dégradant, l?État ne cessant de s?endetter,
le mécontentement général grandissait. Cette situation
finit par provoquer la révolution de 1789. En bon bourgeois qui avait
bien des griefs contre la royauté et désirait tirer avantage de
la conjoncture afin d?augmenter son pouvoir, Julien RUCHER-BAZELAIS épousa
les causes de la Révolution. Il s?avéra que cette crise devait
plus lui coûter que lui rapporter, et Julien déchanta vite. La
révolution ayant gagné Saint-Domingue, source essentielle de sa
fortune, dès 1791 il fut coupé du plus clair de ses revenus. Il
perdit tous ses biens à Machecoul durant la guerre des Chouans qui causa
de grands désastres en Vendée et en Bretagne. Il eut, de surcroît,
la peine de perdre son fils aîné, mort des suites de ses blessures
durant cette guerre. De plus, il investit dans les assignats, première
tentative d?introduction d?une sorte de papier-monnaie par la France républicaine.
Ce fut un grand fiasco et Julien y perdit son capital. Les affaires fonctionnant
avec le crédit, il avait contracté des dettes importantes. Il
se trouva dans l?impossibilité de les rembourser et de même payer
les intérêts. Cette cascade de malchances et de malheurs fut un
lourd fardeau pour ses vieilles épaules. Son moral fut durement atteint.
Le 29 octobre 1796, après une vie bien remplie, il décéda
en sa demeure de la Fosse, en pleine tourmente révolutionnaire et sans
avoir vu la fin de son calvaire. Il était âgé de 71 ans.
RÉFÉRENCES
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1. Registres paroissiaux de Pornic 1720-1775, Archives Départementales de la Loire Atlantique, Nantes.
2. Idem
3. Dossier Personnel « Julien Rucher Bazelais», cote Maritime c7 Archives Nationales de France.
4. «Répertoire des Expéditions Négrières Française au 18e siècle, tome 1- Nantes» par Jean Mettas- Société Française d?histoire d?outre-Mer, 1978.
5. Description de la partie française de l?Isle Saint-Domingue, Moreau de Saint-Méry, tome 2, Librairie Larose, 1958.
6. Registres paroissiaux de Saint-Marc 1763-1775, Archives d?outre-Mer, Aix-en-Provence.
*Laurent Bazelais joua un grand rôle dans la guerre de l?indépendance d?Haïti. Il est le père du sénateur Charles Bazelais qui lui même donna naissance à Boyer Bazelais, chef du Parti Libéral.
7. «La vie quotidienne dans les ports bretons aux 17è et 18è siècles» par Armel de Wismes, Hachette 1973.
8. Registres paroissiaux et d?État Civil de Nantes 1774-1796, Archives Municipales de Nantes.
9. Idem. jeux de cuisine jeux de cuisine
10. Registres des Désarmements du port de Nantes Archives de la Loire Atlantique, cote Marine-410, Désarmements 1759.
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